4 décembre 2015
L’idée que les crises économiques et sociales sont un terreau favorable au développement de l’économie sociale et solidaire (ESS) est largement répandue, ceci n’en fait pas pour autant une affirmation exacte. Bien au contraire, les crises actuelles confrontent l’ESS à des difficultés et la nécessité de se réinventer.
3 points à retenir :
1-La crise économique est à la fois l'occasion d'un redéploiement et d'un requestionnement sur l'identité et les valeurs de l'ESS.
2-La massification du recours à l'ESS l'oblige à adopter des outils du management des entreprises privées classiques, au risque d'en adopter le mode de gestion.
3-La crisedes slidarités ouvre des fronts nouveaux pour l'ESS tout en renforçant sa position historique sur le secteur social.
Les multiples crises qui ont frappé l’économie depuis la fin du XXème siècle (économique, financière, sociale et environnementale) ont largement transformé le paysage social de la France : hausse des inégalités, explosion du chômage, recomposition des liens sociaux et montée des radicalismes en tout genre. Ces transformations se trouvent renforcées par les politiques de réduction des dépenses publiques, surtout sociales, et une remise en cause plus générale du rôle de l’Etat dans les grands services publics et l’action sociale.
Dans ce contexte, la mobilisation de la société civile organisée dans l’économie sociale et solidaire a connu un regain d’intérêt, pour suppléer les désengagements de l’État mais aussi parce qu’au moins une partie de ces organisations se sont avérées être plus résistantes face à la crise. Ce regain d’intérêt pour l’ESS est double. D’une part les populations se sont orientées, et ont été orientées, vers les structures de l’ESS en tant bénéficiaires (aide aux plus démunis, éducation populaire, réinsertion), d’autre part c’est également comme forme d’organisation à même de porter un projet de (re)développement économique et social localisé que l’ESS est sollicitée.
On pense notamment aux sociétés coopératives et participatives (SCOP) permettant en particulier la reprise d’entreprise ou aux pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), nouvel outil collectif au service de la couverture des besoins et du développement des territoires. C’est le cas du PTCE ARDAINES qui travaille à la valorisation des ressources présentes dans les Ardennes (bois, déchet, terres agricoles) dans des filières variées (construction de logements sociaux écologiques à ossature bois, service à la personne, maraîchage biologique, ressourcerie et réemploi des matériaux) et portées par les structures d’insertion par l’activité économique du pôle.
Ceci étant dit, ce regain d’intérêt n’est pas sans danger pour une ESS tiraillée entre la sauvegarde d’une gestion démocratique et alternative et l’obligation de faire montre d’une certaine performance, qu’elle soit économique ou sociale. La forte proximité entre les banques mutualistes et coopératives et les banques commerciales capitalistes éclaire sur les risques d’une banalisation des organisations de l’ESS et la question, toujours présente, de son identité.
Si l’on porte la focale sur la structuration des relations professionnelles au sein des structures l’ESS, il est clair que le dialogue social, ouvert et participatif, porte une forme originale de performance et d’engagement au travail. Ce dialogue social est cependant mis à l’épreuve au sein de structures peu équipées pour faire face à des pressions concurrentielles grandissantes, à plus forte raison au sein des associations confrontées à l’émergence des « entrepreneurs sociaux » comme les services à la personne.
Si l’ESS suscite autant d’intérêt, tant du côté des chercheurs, des décideurs publics que des praticiens, c’est bien parce qu’elle a su se construire comme lieu de conservation et de renouvellement des solidarités, héritière de l’économie sociale de la fin du XIXème siècle.
A priori encore mal préparée pour faire face aux défis actuels, elle ne cesse de redoubler d’efforts et d’innovations, techniques, sociales ou organisationnelles, pour les surmonter. La question de ses frontières et de son identité nous animera toujours… et si l’ESS était une nébuleuse, à la fois substitut traditionnel de l’action sociale de l’État et, autonome et créative, sur des secteurs où l’on ne l’attend pas, comme l’industrie ?
Christopher Lecat, doctorant en sciences économiques au laboratoire REGARDS, Université de Reims Champagne-Ardenne
Et vous ?
La crise économique n’est pas à l’origine des réformes de la protection sociale en Europe, elle n’a fait qu’accélérer des réformes déjà mise en place avant 2008, le retrait de l’Etat est avant tout idéologique. Qu’en pensez-vous ?
La dynamique récente de développement de l’ESS découle-t-elle uniquement du désengagement de l’État dans le secteur social et des solidarités ?
Les organisations de l’ESS ne sont pas équipées pour pallier au retrait de l’État et les imperfections des modes de régulation de l’ESS sont un frein à son développement. Quand bien même l’ESS emprunte des outils au management traditionnel, elle est tiraillée entre aspirations démocratiques et gestion formalisée, quelles peuvent être les solutions ?
Pour aller plus loin :
L'appel à communication des Journées de l'Aés 2016
Le programme de ces journées
Rubrique : Conférence de recherche
Mots-clés : recherche, crise, ESS
Catégorie : conférence