12 juillet 2016
Claire Guérard, de formation en anthropologie, chargée d'étude et de formation dans l'évolution sociale s'est attachée à concilier recherche et action sur le terrain, avec une démarche de recherche action (RA). Intervenante en médiation, l'important nous dit-elle est de permettre à l'autre de (re)devenir acteur ou co-acteur et non de délivrer un savoir fini ou une solution clé en main, ainsi on bascule vite dans la RA.
Claire a travaillé dans le social que ce soit dans un cadre associatif ou avec des collectivités locales. Elle nous livre sa vision de la recherche-action en évoquant notamment celle qu’elle a coordonnée pour le SPISC (séminaire pour la promotion de l’intervention sociale communautaire, collectif constitué en 2006 suite aux révoltes des banlieues) de 2013 à 2016.
3 points à retenir :
1-La recherche-action c’est réunir des acteurs qui ont des savoirs, compétences et connaissances différents et complémentaires, autour d’une question commune qui les préoccupe pour faire advenir un nouveau cadre de pensée et d'action. Cela demande de lâcher prise pour laisser émerger une nouvelle réalité.
2-Le SPISC, collectif constitué en 2006, suite aux révoltes des banlieues, a mené une recherche-action pendant 3 ans sur 9 sites majoritairement quartiers politiques de la ville.
3-Pour articuler des approches différentes et donner la place à tout le monde, une recherche-action doit privilégier le collectif sur l’individuel.
1 Qu’est-ce que la recherche-action pour vous ?
Pour moi, la recherche-action (RA) c’est réunir des acteurs qui ont des savoirs, compétences et connaissances différents et complémentaires, autour d’une question commune qui les préoccupe pour faire advenir un nouveau cadre de pensée et d'action. Cela demande de lâcher prise pour laisser émerger une nouvelle réalité.
Alors que la recherche part d’un cadre de pensée, analyse et propose des axes d’action, la RA part des questionnements des gens. C’est une des meilleure démarche pour avancer dans le social car cela nécessite de reconnaître la connaissance que les personnes concernées ont de leur cadre de vie et de considérer les orientations qu'elles proposent pour le faire évoluer. C'est leur redonner le pouvoir d’agir.
L'approche et la structure de pensée universitaire en France rend la démarche de RA difficile pour les universitaires eux-mêmes qui ont souvent des difficultés à ne pas penser pour les autres. Le premier réflexe est souvent de poser un cadre d'analyse de départ qui bloque l'émergence de nouveaux axes d'approche ou rend leur mise en évidence plus complexe. La RA s'inscrit dans une démarche de bottom up.
C’est une posture, la capacité de mettre à plat et percevoir d’autres cadres de pensée. Pour que les acteurs en présence ne soient pas enfermés dans leurs propres structures de pensée, il est important qu’il y ait un tiers extérieur qui facilite ce qui a du mal à émerger, de par sa capacité d’écoute, d’analyse et à donner forme. Le « chercheur-acteur » fait de la réflexivité, il aide les acteurs à éclaircir leurs questionnements et à formaliser les solutions envisagées. Une RA se fait sur du moyen terme pour que les personnes se donnent le temps et la liberté de la pensée, puissent lâcher prise et reprendre confiance.
Le coordinateur d’une RA est porteur d’un cadre qui favorise l’interaction, d’une dynamique de réflexion qui doit perdurer au-delà de sa présence. On a tous des connaissances de notre milieu et qui sont complémentaires, c’est en réfléchissant entre qu’on arrive à faire émerger des choses intéressantes et nouvelles. C'est dans la philosophie taoiste que j'en ai trouvé la meilleure illustration : l'important entre le ying et le yang, c’est l'espace vide entre les deux, ce qui se passe dans l'articulation entre les deux, l’interstice entre le blanc et le noir, le moment où les gens sont en relation. F. Cheng l'exprime ainsi : « toute vraie pensée est ‘inter’, ce qui naît entre les sujets est aussi important que les sujets eux-mêmes […] Le ‘vide médian’ c'est le souffle qui relie toute choses vivantes et qui les porte toujours plus loin qu'elles.»
2 Parlez-nous de la recherche-action que vous avez coordonnée pour le SPISC
Le SPISC, séminaire pour la promotion de l’intervention sociale communautaire est un collectif qui s'est constitué en 2006, suite aux révoltes des banlieues. Il est composé de militants du social, travailleurs sociaux, universitaires, formateurs, administrateurs d’institutions publiques et privées qui voulaient remettre les modes de fonctionnement à plat et attirer l'attention sur la nécessité de prendre en compte la réalité et les ressources de dimensions culturelles différentes.
En 2011 ont eu lieu à Aubervilliers une première recherche et un colloque sur une démarche de développement social/intervention sociale communautaire. Le collectif s’est mis ensuite à réfléchir à une recherche-action nationale avec pour objectif de mettre en évidence les ressorts et l'intérêt des actions communautaires. Cette RA a été financée par le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS) et la Direction de l'Accueil, de l'Accompagnement des Étrangers et de la Nationalité (DAAEN).
Des démarches ont été mises en place sur 9 sites, pour la plupart des quartiers politiques de la ville, avec des acteurs de l’intervention sociale : deux équipes de la politique de la ville de collectivités ou de Groupement d’Intérêt Public, trois associations de prévention spécialisée, deux associations intervenant sur l’intégration de migrants, deux associations d’initiative citoyenne.
Un cadre commun a été posé, à partir de la notion de communauté-territoire, défini comme «à la fois un endroit, des gens vivant en cet endroit, l'interaction entre ces gens, les sentiments qui naissent de cette interaction, la vie commune qu'ils partagent et les institutions qui règlent cette vie».
Chaque site a mis en place son propre dispositif de recherche-action et a travaillé autour de questionnements propres à son environnement pour contribuer à l’approfondissement des démarches locales et alimenter la recherche collective. Une vingtaine de personnes ont contribué à construire cette RA qui a mobilisé un grand nombre de personnes entre les acteurs et leurs interlocuteurs.
En donnant le pouvoir d’agir aux gens, ils redeviennent acteurs. Ainsi, à Strasbourg, la responsable d’un centre social voit les attentes et la volonté de s'investir des femmes du quartier, mais ne parvient pas à leur laisser la place d'acteur qu'elles attendent; elle propose alors à ces femmes de se constituer en association PAR' Enchantement, pour mener à bien leurs projets. Elles ont ainsi créé une crèche qui répond à leurs besoins : avoir une solution immédiate pour la garde de leurs enfants en cas de proposition d'emploi, quels que soient les horaires de travail. Ce projet a été dès le début fortement soutenu par la Caisse d’allocation familiale mais non par la ville car cette crèche ne respecte pas la modalité d'attribution des places imposée autres crèches qu'elle finance. Pour voir le jour, la crèche a mobilisé de nombreux habitants sur le quartier (hommes et femmes). Salariés et bénévoles ont travaillé pour mettre le local aux normes, lancer des permanences suffisantes malgré un budget restreint. Cela a créé une dynamique dans le quartier, avec de multiples projets où les gens s’investissent. Avec la crèche, les femmes gagnent en réactivité et peuvent reprendre un emploi tout en s’assurant de la garde de leurs enfants en bas âge.
La recherche-action qui s'est déroulée sur environ 3 années, a été ponctuée de « rencontres inter-sites », qui ont permis à chacun d'appréhender concrètement la réalité des autres démarches et de leurs acteurs. Elle a mis en évidence le cheminement des équipes qui ont transformé leurs pratiques pour aller vers davantage de « pouvoir d’agir » et a permis de s'accorder sur quelques constats parmi lesquels on peut citer :
- La donnée culturelle ne doit plus être escamotée ;
- Le fait communautaire, défini comme ce qui relie un groupe de personnes sur des bases territoriales (mais aussi ethniques, culturelles ou religieuses), peut nourrir une certaine capacité collective d’initiatives.
3 Quels messages voulez-vous partager avec les acteurs de l’ESS, les organisations de soutien à l’ESS, les pouvoirs publics ?
La démarche communautaire a eu des répercussions sur les quartiers où le climat social est devenu meilleur, cela a même été reconnu par des policiers. Elle a permis des changements de posture et démontré que quand une structure bouge, ça fait bouger les institutions.
Il y a d’autres modes de penser et d’agir qui sont possibles et c’est souvent nous qui nous mettons les limites, or tout le monde est à même de percevoir une autre réalité, d’arrêter de voir des institutions ou des murs. Pour remédier aux difficultés d’articuler des approches différentes, lâcher prise et donner la place à tout le monde, une RA doit privilégier le collectif sur l’individuel.
Comment fait on bouger les cadres pour permettre cette innovation ? Politiques et administratifs commencent à prendre conscience de l'intérêt d'une telle démarche mais rencontrent des difficultés à faire rentrer ces actions dans les cadres préexistants ; les financements de la politique de la ville sont pensés et organisés selon des critères qui ne prennent pas en compte ces nouvelles démarches.
L'émergence de solutions nouvelles prend du temps, s'inscrit dans la durée, agit parfois dans la transversalité en associant des domaines souvent fort distincts dans l'organisation institutionnelle. Par ailleurs les politiques et institutionnels n'ont pas toujours les marges de manœuvre pour faire évoluer et légitimer un réel changement de posture. Il apparaît nécessaire qu'ils puissent s'inscrire en acteurs de la RA avec les autres partenaires, et pour cela que l'institution dans son ensemble prennent acte de cette remise à plat du cadre de pensée.
Cela pose la question de l’apport et des critères de l’évaluation des actions, l'intérêt de la recherche action comme mode d'action en soi et de son articulation avec le territoire. Comment pérenniser la recherche-action ?
On ne peut pas penser à la place des gens et tout ce qui a été pensé comme dispositif a montré ses limites ; il faut repenser le système, les gens ont les ressources et les solutions. La notion de pouvoir est en jeu, or donner et reconnaître du pouvoir aux autres ne veut pas dire ne plus avoir de pouvoir ou de place.
Claire Guérard, Chargée d'étude et de formation dans le domaine de l'évolution sociale,
interviewée par Christèle Lafaye, Fondatrice de CLEERESS
Pour aller plus loin :
Site internet de la RA menée pour le SPISC
(le rapport public sera diffusé prochainement)
Profil professionnel de Claire Guérard
L'association PAR Enchantement et son projet micro-crèche
Rubrique : recherche-action
Catégorie : interview recherche-action
Mots-clés : recherche-action, développement communautaire
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