22 juin 2016
Cette année les XVIèmes rencontres du Réseau Inter-Universitaire de l’ESS portaient sur le lien entre les communs et l’ESS. Si le concept de communs connait un grand succès depuis l’obtention du « prix Nobel » d’économie par Elinor Oström en 2009, son articulation avec les concepts d’ESS n’est pas toujours solide.
Qu’est-ce que la théorie des communs et les théorisations de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) ont justement en commun ?
3 points à retenir :
L’ESS et les communs appellent à trois principaux questionnements autour de :
1-la notion de propriété ;
2-la mise en place de règle de gouvernance autonome (non imposé ni par l’Etat, ni par le marché) ;
3-la redéfinition du travail.
Quelle définition des communs ?
Le succès du concept de communs et sa très large utilisation ne participe pas toujours à sa compréhension. L’exposé de Benjamin Coriat a été sur ce point d’une grande utilité. L’économiste atterré[1] explique ainsi que les communs ont trois composantes essentielles :
-il faut tout d’abord qu’il y ait une ressource mise en commun,
-qu’il y ait ensuite une distribution des droits de propriété, en tant que lien entre des personnes autour de l’objet mis en commun,
- et enfin qu’un mode de gouvernance spécifique soit mis en œuvre pour assurer la régulation.
Les débats que soulèvent les communs sont aussi souvent ceux qui animent les acteurs de l’ESS.
Redéfinition de la propriété
Les communs, tout comme les initiatives d’ESS, nous poussent à reconsidérer notre conception de la propriété. Une propriété qui, comme l’a rappelé Jean-Louis Laville, professeur au CNAM, est relative et repose sur un faisceau de droits.
Sur ce point, le travail de recherche présenté par Pierre Francoual, doctorant en droit social à l’Université Toulouse Capitole, au sujet de la propriété dans les coopératives illustrait comment les statuts coopératifs tordent le droit de propriété. Une propriété qui repose avant tout sur l’usus, l’usage de la coopérative. Le fructus dépendant pour sa part directement de cet usage via une redistribution des bénéfices proportionnelle à l’activité et l’abusus étant limité par l’obligation, par exemple, de reverser les excédents de gestion en cas de liquidation à une autre coopérative.
La gouvernance
La définition d’une gouvernance de ces biens communs par ses propriétaires relatifs, rappelle J.L. Laville, bouscule la dichotomie Etat/Marché et appelle à une pluralité de modèles économiques.
Le témoignage d’Alter éco jardin, qui accompagne la mise en œuvre de jardins partagés en Languedoc-Roussillon, est venu illustrer l’importance d’une réflexion sur la gouvernance en amont et tout au long du projet. Trouver le dénominateur commun qui rassemble les participants et bâtir à partir de celui-ci une identité collective ou encore se rappeler que le jardin n’est qu’un support à la convivialité, c’est se poser les questions : qu’est-ce que nous mettons en commun ? Et pourquoi le mettons-nous en commun ? Pourquoi créons-nous des communs ?
Communs numériques et rémunération des commonors
Internet et l’apparition de communautés épistémiques, dont le but est de créer de nouvelles connaissances communes[2], exacerbent toutes ces questions mais ouvrent également un autre débat autour de la rémunération, de la reconnaissance de la valeur apportée par ces commonors, qui donnent leur temps et leur énergie au service des communs. C’est ici encore un sujet qui anime également l’ESS. Le salariat et le bénévolat sur lesquels reposent les organisations de l’ESS sont en effet deux formes d’activités fortement questionnées par les taux de chômage élevés et de transformation du travail, dans son contenu comme dans son organisation. Cette dichotomie salariat/bénévolat est même parfois insoutenable pour certaines organisations, notamment les associations où bénévoles et salariés travaillent ensemble mais sous des cadres légaux bien distincts. Les débats et expérimentations autour du salaire de base, du salaire à vie ou encore des droits de tirage sociaux proposés entre autre par Alain Supiot, professeur de droit au Collège de France, viennent alimenter ce débat pour la construction d’un nouvel arrangement institutionnel qui permettrait à chaque citoyen de participer à la construction de communs de manière flexible.
Mélissa Boudes, chercheure, étudiante, enseignante
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[1] Benjamin Coriat est membre du mouvement des économistes atterrés appelant à un renouvellement du débat économique.
[2] Pour un exemple associant communauté épistémique et ESS lire « L’entrepreneuriat collectif comme produit et projet d’entreprises épistémiques : le cas des Coopératives d’Activités et d’Emploi » de S. Veyer et J. Sangiorgio, Revue de l’entrepreneuriat, 2006, vol. 5, n°2.
Et vous ?
Avez-vous des exemples de communs développés par l’ESS ? Des exemples de modes de gouvernance novateurs ?
Pour aller plus loin :
Site internet du RIUESS : présentation, programme
"Elinor Ostrom ou la réinvention des biens communs", Hervé Le Crosnier, le Monde diplomatique, 15 juin 2012
Interview de Benjamin Coriat : «Commoners de tous les pays, unissez-vous !», Vittorio De Filippis, Libération, 26 juin 2015
article de la Cleeressletter sur la conférence Manucoop d'octobre 2015, passage sur les communs
Rubrique : recherche
Catégorie : conférence de recherche ESS
Mots-clés : Communs, ESS
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