CR de conférence sur l'ESS

Vers de nouvelles conventions d’insertion et de collaboration entre acteurs ?

Conférence Atelier IDF, 24 mars 2016


27 juin 2016

 Lors d’une rencontre organisée par l’Atelier, le 24 mars dernier, acteurs et chercheurs ont pu échanger autour des partenariats possibles entre les entreprises « classiques » (EC) et les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) : pourquoi et comment les EC et ESS collaborent-elles?

 


3 points à retenir :

1- La vision de l’insertion évolue et il y a un intérêt à considérer les convergences et complémentarités des acteurs sur un territoire (entreprises classiques/ structures de l’insertion par l’activité économique ).

2- En plus des motifs connus de collaboration entre SIAE et entreprises « classiques », une recherche récente recense trois modalités d'accord qui sous-tendent conventions d'insertion et collaborations entre acteurs (convention civique marchande, civique industrielle et civique connexionniste).

3- Dans un contexte français assez cloisonné qui manque de transversalité (entre thématiques, entre politiques publiques, entre projets…), les participants insistent sur l'importance de démarches de facilitation, sur l’intérêt à établir des passerelles, à faire se croiser des mondes qui ne sont pas systématiquement en opposition.

 

L'insertion par l'activité économique (IAE) qui date des années 1980 couvre un large spectre d’acteurs avec des statuts et des modalités d’intervention très différents. Ainsi d’après la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), en 2013, 127 600 salariés travaillent en moyenne chaque mois dans les 3 200 structures conventionnées : 45% en associations intermédiaires (AI), 35% en ateliers et chantiers d’insertion (ACI), 10% en entreprises d’insertion (EI) et 10% en entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI).

 

Depuis, sa définition et sa vision évoluent. Pour beaucoup d’acteurs, le mot insertion est galvaudé et ils préfèrent parler « d'accompagnement professionnel renforcé » comme Mamadou Touré de Self Interim, une ETTI de Bondy. En effet renchérit Philippe Gobillon, de Plaine Centrale Initiative (directeur du plan local pour l'insertion et l'emploi, PLIE), « les acteurs de l'insertion mettent en œuvre des outils qui concourent à l'attractivité du territoire, qui peuvent être mis à disposition des acteurs de l’économique classique ».

 

D’ailleurs, si l’on insiste souvent sur les nombreuses différences entre acteurs de l'économie classique et acteur de l'économie sociale et solidaire (ESS), il y a aussi beaucoup à miser sur leurs convergences et complémentarités, au profit des salariés et du territoire.

 

Les EC s'inscrivent avant tout dans une logique de productivité (même si apparaissent des entrepreneurs sociaux, ou des démarches de RSE/RSO, responsabilité sociétale des entreprises/organisations). Pour elles, « faire monter des salariés en compétences », les former, c'est dans l'intérêt du salarié et surtout au profit de l'entreprise, qui garde les salariés compétents.

 

Les SIAE s'inscrivent, elles, dans une logique totalement différente du point de vue de la gestion des compétences, puisqu'elles accompagnent et forment des salariés afin qu'ils sortent de la structure vers des CDI, CDD longue durée ou des formations qualifiantes. De fait, c'est bien sur l'activité d'accompagnement et de formation qu'elles sont pointues.

 

Malgré tout, elles ont des intérêts mutuels et sont complémentaires au service du territoire. Par exemple, les SIAE sont des viviers de candidats pour les entreprises, elles peuvent aussi avoir des relations client/fournisseur, voire répondre ensemble à des clauses.

 

Ainsi, les acteurs ont tout à gagner à apprendre à se connaître, à démystifier les postures et mettre à mal les préjugés grâce à des collaborations concrètes. Favoriser les rapprochements, via des facilitateurs de clause d'insertion, permet lorsque cela marche de changer la vision de l’insertion et des salariés en insertion. Cela reste variable d’un territoire à l’autre : question de personnes, de compétences et surtout de volonté politique, comme c'est le cas en Seine Saint Denis où l’article 14 du code des marchés publics a été promu et beaucoup utilisé.

 

 

On identifie habituellement 4 motifs de collaboration entre les SIAE et les EC :

- le mécénat (question de valeur ou d'image pour l’EC et ressource financière pour la SIAE) ;

- les difficultés de recrutement des EC dans certains secteurs où les SIAE représentent un vivier de main d’œuvre (taux de sorties, parcours d’insertion et emploi pour les salariés des SIAE) ;

- les achats responsables des EC qui génèrent des contrats, des marchés pour les SIAE et des possibilités d'insertion des salariés ;

- les clauses d'insertion.

 

Une étude récente conduite par Philippe Semenowicz, du laboratoire ERUDITE, explore ces collaborations par une « une analyse conventionnaliste des collaborations entre entreprises sociales et entreprises commerciales : l'exemple de l'IAE ». Outre de l'analyse documentaire, il a conduit 49 entretiens (dans 3 structures). Il conclue qu'il y a trois conventions d'insertion qui peuvent fonder les collaborations.

 

Nature de la convention

Civique marchand

Civique industriel

Civique connexionniste

Principe supérieur commun

Concurrence

 

Entreprise fordiste

Efficacité

Entreprise en réseau

Perception SIAE par l'entreprise

EC : elle voit la SIAE comme un fournisseur

formateur

partenaire

Attentes de l'EC envers la SIAE

Réalisation d'une prestation

Résolution d'un problème

Participation à une organisation flexible

Attente SIAE envers l’EC

Contrat commerciaux permettant de faire travailler des personnes en insertion

Embauche de la personne par l'entreprise

Implication dans l’acquisition de compétences transférables par les personnes en insertion

Contenu de la convention d'insertion

Mise en emploi temporaires des personnes en situation d’exclusion

Qualification à un poste à un métier dans l'optique d'un recrutement

Développement de l’employabilité par l'acquisition d'expériences professionnelles

 

Il a observé les trois types de convention sur chacun des terrains, ce que confirment les participants, même si elles n'ont pas toutes le même poids ; et formule trois constats essentiels :

- la fragilisation de la convention civique industrielle, où l'insertion est la préparation à l'intégration d'une personne sur un poste en la formant (pour mémoire, c'est la conception de l'insertion au moment du rapport Schwartz, dans les années 80);

 

- la prégnance de la convention civique marchande, ou il s'agit pour les SIAE d'accepter des contrats commerciaux pour vivre même si l'apport pour les personnes en insertion est incertain. C’est notamment le cas lors de marchés « clausés » mal accompagnés : si l'entreprise classique subit la clause, elle fera appel à des SIAE avec passivité sur un temps court sans perspective autre. Pour les SIAE, l'enjeu est de trouver un moyen de se positionner sur des contrats plus longs qui donnent le temps de gagner la confiance, de casser les préjugés sur les publics et les méthodes de l'insertion ;

 

- la robustesse de la convention civique connexionniste, les collaborations qui durent sont celles qui sont bâties sur cette convention-là. Même si l'EC n'a pas embauché, sa perception a pu changer et les salariés de la SIAE sont mieux armés.

 

 

Toute action de facilitation est déterminante, notamment dans le cas des clauses d'insertion, qui ont été au départ imposée aux entreprises. Le témoignage d'Erika Maillot, responsables RH dans le BTP a mis en évidence, l'importance de la présence de facilitateur mais aussi de référent clause sociale dans les entreprises. Si la mise en œuvre des clauses est une mission de service public (le facilitateur, personne garante de l'exécution des clauses d'insertion est souvent rattaché à une collectivité, un PLIE…), la présence d'un référent dans les EC est un atout majeur. A l'interne, ces référents clauses permettent d'apporter de la fluidité, de rassurer les chefs de chantiers, pour lesquels de prime abord insertion signifie « retard sur les chantiers ».

 

La vision a changé mais la route est encore longue, cependant plusieurs leviers peuvent être activés dans les entreprises : en interne avoir des référents, des tuteurs, préparer les salariés à l’emploi. Mais il n'est pas interdit d'imaginer aussi des leviers externes avec d’autres manières de se rapprocher des SIAE, en travaillant ces questions avec les écoles d'ingénieurs, en sensibilisant les RH des grandes entreprises…

 

 

Karine Tourné Languin, Sociologue

 

 

Et vous ?

D'autres idées de leviers pour rapprocher SIAE et EC ? Et améliorer l'organisation des clauses sur les territoires où les structures sont en difficultés ?

Sinon, dans votre milieu professionnel, vous reconnaissez plutôt quel type de convention ?

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Pour aller plus loin :

L’insertion par L’activité économique en 2013, Stabilité de l’emploi et de l’activité, DARES, Analyse, juin 2015, n° 46

Le laboratoire ERUDITE, Equipe de Recherche sur l’Utilisation des Données Individuelles en lien avec la Théorie Economique

Rapport de Bertrand Schwartz sur l'insertion professionnelle et sociale des jeunes de 1981

http://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1982_num_37_3_17382

 

Rubrique : actualité ESS

Catégorie : conférence ESS

Mots-clés : SIAE, Clause d'insertion, théorie des conventions, collaboration, partenariats


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